Je vous recommande de lire cet excellent billet de Bakouchaïev portant sur l’anarchie et la violence, d’un point de vue pragmatique. 😉 Je suis presque totalement en accord avec son propos. Je vais néanmoins commenter le passage suivant:
Ce n’est pas ici une dénonciation de la violence, au contraire. Je suis pour la violence, si elle est libératrice, si elle vise à supprimer une injustice. Mais trop souvent, elle est superficielle, reste à la surface des choses et est purement irréfléchie.
Je suis d’accord en général avec ce passage sur le fond. Cependant, j’aimerais apporter quelques précisions. D’abord, il serait intéressant de définir comment la violence peut être « libératrice » et « vise à supprimer une injustice », car à mon avis, ces termes peuvent ratisser très larges. En effet, pour certains, le fait de commettre un attentat terroriste contre une banque (et attention, je n’ai pas dit que ce sont des anars qui ont fait exploser une banque à Toronto Ottawa (idiot que je suis, ce n’était pas à Toronto! 😉 )ou qui ont tué trois personnes dans une banque en Grèce) constitue une forme libératrice de violence. Il y a aussi le mouvement fémi-favoritiste qui justifie l’utilisation illégitime de la violence étatique par le fait qu’elle vise à corriger les injustices (souvent réelles, tout de même) causées par des institutions patriarcales passéistes et par une mentalité maqueueliniste.
De plus, j’estime qu’on devrait distinguer les termes « violence » et « agression ». Un acte d’agression survient quand un individu ou un groupe contraint ou force un autre groupe ou individu à faire quelque chose sans leur consentement, et aucun anarchiste ne devrait cautionner une telle chose. La violence, quant à elle, est tout à fait légitime dans les circonstances suivantes: 1) si elle constitue une légitime défense contre une agression (par exemple, le cas de Basil Parasiris, qui s’est défendu contre une agression policière) 2) les agresseurs et les agressés donnent leur consentement (par exemple, les bagarres au hockey) et 3) la vie de l’agresseur est menacée et l’utilisation de la violence vise à lutter contre cette menace (une circonstance non souhaitable, bien sûr!).
D’un point de vue philosophique, les deux meilleurs billets que j’ai lus sur ce sujet ont été écrits par François Tremblay (partie I et partie II). Voici le passage le plus important pour moi:
Another specific problem with using violence in order to attain anti-State ends, is that such violence makes one a statist. The State is commonly defined as a monopoly of force, but I prefer to define it as a monopoly of legitimate force. Obviously anyone can still kill anyone in a statist system, but his killing is not considered legitimate, while his execution by the State would be considered a legitimate killing. The State, by its very nature, seeks to deligitimize crimes committed by other factions or individuals, while legitimizing its own crimes.
The violent activist obviously sees his own use of violence as legitimate, otherwise he would not be committing it. He also sees the State’s violence as illegitimate, otherwise he would not be fighting against it. Therefore, by using violence, the activists necessarily sees himself and his group as a monopoly (or as part of a monopoly) of legitimate force! This assumed monopoly is no less of a State than the current State. And indeed we see the inevitable result in all violent revolutions: all “revolutionaries” turn out to be even more cruel and bankrupt than those they fought against, including the American case.
Dans un billet précédent, j’avais adapté ce passage comme suit:
Un problème spécifique avec l’utilisation de la violence pour atteindre des buts anti-étatistes, est qu’une telle violence fait en sorte que ses zélateurs deviennent en fait…des étatistes! En effet, on peut définir l’État comme “un monopole coercitif de violence légitime“. Évidemment, n’importe qui peut agresser quelqu’un d’autre dans un système étatiste, mais son agression ne sera pas considérée comme légitime, alors qu’une telle agression perpétrée par l’État (par exemple la brutalité policière, justement!) sera considérée comme légitime! L’État, intrinsèquement, cherche à rendre illégitime les crimes commis par d’autres groupes ou individus, tout en légitimant ses propres crimes.
L’activiste violent considère évidemment sa propre utilisation de la violence comme légitime, car sinon, il n’utiliserait pas cette violence. Il considère aussi la violence de l’État comme étant illégitime, car sinon il ne combattrait pas cette violence. Donc, en utilisant la violence, les activistes et les groupes associés se considèrent nécessairement comme un monopole de violence légitime. Ce monopole assumé n’est rien d’autre qu’un nouvel État au même titre que l’État actuel! Par conséquent, un dérapage inévitable se produit dans toutes les révolutions violentes: les soi-disant “révolutionnaires” deviennent souvent encore plus cruels et oppresseurs que ceux qu’ils ont combattu. 😦
La réunion de ces trois billets résume en majeure partie mon opinion sur ce sujet. Le recours à des actes d’agression est toujours illégitime, a fortiori pour les anarchistes, mais dans certaines circonstances, la violence peut être légitime.
Intéressant comme billet, mais en quoi les activistes qui prônent l’action directe se targue d’avoir le monopole de la violence légitime? Ils et elles remettent en question le monople de la violence légitime de l’État et considère vraisemblablement leur violence comme étant légitime, mais en quoi irrige-t-il un monopole à ce niveau? Je suppose que ça peut arriver, mais en quoi est-ce un automatisme? François n’explique pas ce point, en tout cas pas dans le passage que tu as cité puis traduit.
Tu parles de légitime défense et dans le fond, c’est ce que je prône. Mais justement, les banques (qui ne sont pas des humains en passant!) ne sont pas neutres. Je considère ces institutions comme des agresseures,au même titre que l’État et les multinationales. Ma résistance est une forme d’auto-défense. Ça se traduit surtout par l’écrit, mais ça ne veut pas dire que ça va toujours en rester là, ou que je n’ai jamais posé de geste plus «concrets» ( on est loin des bombes!).
Aussi, je trouve un peu bizarre qu’une multitude d’anarchistes se précipitent pour se dissocier de l’attaque contre la banque en Ontario (je ne te vise pas personnellement).Dans le fonds, que ce soit des agents provocateurs a peu d’importance. Je suppose que ça vient justement démontrer les limites de certaines organisations «révolutionnaires» et vient renforcer ma théorie d’un mixte entre l’anarchie et le nihilisme (bien qu’il faut faire attention avec ça et que personne ne sera d’accord avec moi!).
Je vais écrire un billet sur cette action bientôt, c’est juste que j’aurais aimé avoir plus d’infos avant de me mouiller.
« Intéressant comme billet, mais en quoi les activistes qui prônent l’action directe se targue d’avoir le monopole de la violence légitime? »
À ce que je sache, l’action directe n’est pas synonyme d’agression. De plus, si les activistes violents reconnaissent la légitimité de leur action et qu’il ne reconnaissent pas qu’ils s’arrogent le monopole de la violence, ils reconnaissent donc la légitimité de la violence étatique. À moins que tu considères plusieurs factions d’activistes comme étant des concurrents?
Faut dire que c’est expliqué encore plus clairement dans le billet de François Tremblay.
« Mais justement, les banques (qui ne sont pas des humains en passant!) ne sont pas neutres. Je considère ces institutions comme des agresseures,au même titre que l’État et les multinationales. Ma résistance est une forme d’auto-défense. »
En effet, ce sont des agresseurs, mais doit-on punir les clients et les travailleurs pour cette raison? De plus, n’y a-t-il pas des priorités plus urgentes que de subir à nouveau les railleries des médias? Par contre, je ne vais pas pleurer sur la perte de profits causée par un tel attentat!
« Ça se traduit surtout par l’écrit, mais ça ne veut pas dire que ça va toujours en rester là, ou que je n’ai jamais posé de geste plus «concrets» »
Très bien! 🙂
« Aussi, je trouve un peu bizarre qu’une multitude d’anarchistes se précipitent pour se dissocier de l’attaque contre la banque en Ontario »
C’est normal puisque les médias capitalistes les associent avec cette violence, non?
« vient renforcer ma théorie d’un mixte entre l’anarchie et le nihilisme (bien qu’il faut faire attention avec ça et que personne ne sera d’accord avec moi!). »
Bof, franchement, j’ai certaines tendances nihilistes moi aussi…
En passant, la bombe dans la banque c’était à Ottawa et non à Toronto. Pas majeure comme point, mais bon. J’ai dû vérifier, je n’étais plus certain où ça avait eu lieu.
Merci, j’ai corrigé. Je suis un sinistre idiot!
Vous me donnez l’envie d’écrire un billet sur la violence et de son rôle dans la contestation.
Il semble y avoir trop de confusion autour du sujet …
Ça promet d’être intéressant 🙂 mais je m’attends à être un peu en désaccord.