Suite au décès du cinéaste-polémiste nationaleux (il y en a d’autres qui sont pires que lui) et séparatiste Pierre Falardeau, j’ai tout simplement décidé de placer ici ce que j’estime être son oeuvre la plus percutante, i.e. son court-métrage Le Temps des bouffons, dont le texte ne choquera aucun anarchiste, en principe. Je reviendrai sur Pierre Falardeau plus tard. En attendant, je vous suggère de lire cet excellent billet de MFL qui, contrairement à la plupart des autres, a bien su exposer autre chose que « Falardeau le militant séparatiste » et je me permets de citer ce passage que j’appuie entièrement:
Je n’ai jamais compris pourquoi les gens étaient si frileux, pourquoi ils craignaient tant ceux qui affirmaient leurs idées. Au contraire, il n’y a qu’eux qui méritent réellement notre respect, qu’on soit en accord ou non avec leurs discours. Ils sont importants ces grandes gueules car il n’y a qu’eux qui éveillent les consciences, qui réveillent les masses endormies et qui invitent des sujets à l’ordre du jour. Un monde sans pamphlétaires, sans polémistes ou sans personnages plus grands que nature serait gris et terne… (Il le devient d’ailleurs) Je ne veux pas d’un univers monochrome… Hélas, il semble que c’est ce genre de vie dont la population rêve. La routine sans heurt et un écran plasma pour pouvoir regarder Le Banquier à sa guise en écoutant les voix sans âmes des académiciens. La vie est courte, elle passe et reprend, il faut la déjouer en la provoquant, en réagissant, en prenant des risques, on n’a jamais rien d’autre à perdre que la vie en fait. Falardeau rêvait d’un monde où les gens avaient l’espoir de se battre pour leur survie et d’une vie qu’on pouvait sculpter de nos propres mains comme tant de pays qu’on a le droit de se créer, de s’approprier.
Petite précision avant que vous regardiez ce court métrage: je ne cautionne pas l’assassinat de Pierre Laporte par les felquistes mais je suis d’accord avec ce passage: « Au Ghana, les pauvres mangent du chien. Ici, c’est les chiens qui mangent du pauvre. Et ils prennent leur air surpris quand on en met un dans une valise de char. » Pour être encore plus précis, je trouve ce passage méprisant…pour les chiens!
Maintenant, voici le film et le texte.
Le temps des bouffons
On est au Ghana en 1957, avant l’indépendance. Jean Rouch tourne un documentaire, Les Maîtres fous, sur la religion des Haoukas. Chaque année, les membres de la secte se réunissent pour fêter. Ils sont possédés. Possédés par des dieux qui s’appellent le gouverneur, le secrétaire général, la femme du gouverneur, le général, la femme du docteur. En 1957, le Ghana, c’est une colonie britannique… quelques rois nègres pour faire semblant, mais les vrais maîtres sont anglais. Une colonie avec tout le kit: Union Jack, God Save the Queen, perruques, cornemuse, pis la face de la reine en prime. Ici, on connaît.
La religion Haoukas reproduit le système colonial en plus petit, mais à l’envers. Les colonisés se déguisent en colonisateurs, les exploités jouent le rôle des exploiteurs, les esclaves deviennent les maîtres. Une fois par année, les pauvres mangent du chien. Une fois par année, les fous sont maîtres. Le reste du temps, les maîtres sont fous.
On est au Québec en 1985. Chaque année, la bourgeoisie coloniale se rassemble au Queen Elizabeth Hotel pour le banquet du Beaver Club. Ici, pas de possédés, juste des possédants. A la table d’honneur, avec leur fausse barbe et leur chapeau en carton, les lieutenants gouverneurs des 10 provinces, des hommes d’affaires, des juges, des Indiens de centre d’achats, des rois nègres à peau blanche qui parlent bilingue. Comme au Ghana, on célèbre le vieux système d’exploitation britannique. Mais ici, c’est à l’endroit. Ici, les maîtres jouent le rôle des maîtres, les esclaves restent des esclaves. Chacun à sa place!
– Bonsoir, mesdames et messieurs. Good evening, ladies and gentlemen. My name is Roger Landry. I am your president of the Beaver Club. It is my privilege to welcome you to the twenty-seventh annual dinner of the Beaver Club celebrating this year the two-hundredth anniversary of the Beaver Club in Montreal. Sont réunis ici ce soir, dans cette illustre enceinte, des personnalités dont le seul nom évoque assurément la grandeur et l’honorabilité; puisque, en fait, à cette table ils sont tous honorables. En titre… Mais rassurez-vous, ce soir, exceptionnellement, ils redeviennent tous humains et les règles du protocole sont dès maintenant abolies. Avant de ce faire, j’ai reçu, il y a quelques instants, a few minutes ago this telegram: I am very sorry that I am unable to be with you tonight, but I am pleased to be able to send congratulations on the occasion of the anniversaries. Je vous souhaite à tous une soiré agréable et au Beaver Club beaucoup de succès dans les années à venir. The right honorable prime minister of Canada, Brian Mulroney. »
Des bourgeois pleins de marde d’aujourd’hui déguisés en bourgeois pleins de marde d’autrefois célèbrent le bon vieux temps. Le bon vieux temps, c’est la Conquête anglaise de 1760; par la force des armes, les marchands anglais s’emparent du commerce de la fourrure. Chaque année, les grands boss se réunissent pour fêter leur fortune. Ils mangent, ils boivent, ils chantent. Ils s’appellent McGill, Ellice, Smith, Frobisher, Mackenzie. C’est ca, le Beaver Club il y a 200 ans. C’est la mafia de l’époque. Ils achètent tout : les terres, les honneurs, les médailles, le pouvoir, tout ce qui s’achète. La gang de fourrure forme lentement l’élite de la société. Les voleurs deviennent tranquillement d’honorables citoyens. Ils blanchissent l’argent sale en devenant banquiers, seigneurs, politiciens, juges. C’est ça, le Beaver Club au début.
Deux cents ans plus tard, leurs descendants, devenus tout à fait respectables, font revivre cette fête par excellence de l’exploitation coloniale. Le gros Maurice, ministre des Forêts, devenu boss d’une multinationale du papier. Jeanne Sauvé, sa femme, administrateure de Bombardier, d’Industrial Insurance, et gouverneuse générale. Marc Lalonde, ancien ministre des Finances, maintenant au conseil d’administration de la City Bank of Canada. Francis Fox, ministre des Communications, engagé; par Astral Communications. Toute la gang des Canadiens français de service est là, costumé en rois nègres biculturels. Des anciens politiciens devenus hommes d’affaires. Des anciens hommes d’affaires devenus politiciens. Des futurs politiciens encore hommes d’affaires.
Toute la rapace est là: des boss pis des femmes de boss, des barons de la finance, des rois de la pizza congelée, des mafiosos de l’immobilier. Toute la gang des bienfaiteurs de l’humanité. Des charognes à qui on élève des monuments, des profiteurs qui passent pour des philanthropes, des pauvres types amis du régime déguisés en sénateurs séniles, des bonnes femmes au cul trop serré, des petites plottes qui sucent pour monter jusqu’au top, des journalistes rampants habillés en éditorialistes serviles, des avocats véreux, costumés en juges à 100 000$ par année, des liche-culs qui se prennent pour des artistes. Toute la gang est là : un beau ramassis d’insignifiants chromés, médaillés, cravatés, vulgaires et grossiers avec leurs costumes chics et leurs bijoux de luxe. Ils puent le parfum cher. Sont riches pis sont beaux; affreusement beaux avec leurs dents affreusement blanches pis leur peau affreusement rose. Et ils fêtent…
Au Ghana, une fois par année, les pauvres imitent les riches. Ici, ce soir, les riches imitent les riches. Chacun à sa place… Les bourgeois anglais se déguisent en bourgeois anglais, les collabos bilingues s’habillent en collabos bilingues, souriant et satisfaits, les Écossais sortent leur jupe écossaise, les Indiens se mettent des plumes dans le cul pour faire autochtones. On déguise les Québécois en musiciens pis en waiters. Les immigrés? Comme les Québécois, en waiters! Chemises à carreaux et ceintures fléchée. Manque juste les raquettes pis les canisses de sirop d’érable. Des porteurs d’eau déguisés en porteurs de champagne. Alouette, gentille alouette!
C’est toute l’histoire du Québec en raccourci. Toute la réalité du Québec en résumé : claire, nette pour une fois, comme grossie à la loupe. Ce soir, les maîtres fêtent le bon vieux temps. Ils fêtent l’âge d’or et le paradis perdu. Ils crient haut et fort, sans gêne, leur droit au profit, leur droit à l’exploitation, leur droit à la sueur des autres. Ils boivent à leurs succès. Ils chantent que tout va bien, que rien ne doit changer, que c’est pour toujours… toujours aux mêmes, toujours les mêmes.
Ils sont pareils partout… à New York, à Paris, à Mexico. Je les ai vus à Moscou vomir leur champagne et leur caviar sur leurs habits Pierre Cardin. Je les ai vus à Bangkok fourrer des enfants, filles ou garçons, pour une poignée de petit change. Je les ai vus à Montréal dans leur bureau avec leurs sales yeux de boss, leur sale voix de boss, leur sale face de boss, hautains, méprisants, arrogants. Des crottés avec leur chemise blanche pis leur Aqua Velva. Minables avec leur Mercedes pis leur raquette de tennis ridicule. Comme des rats morts. Gras et épais avec leurs farces plates pis leurs partys de cabane à sucre. Pleins de marde jusqu’au bord à force de bêtise et de prétention. Crosseurs, menteurs, voleurs. Et ça se reproduit de père en fils. Une honte pour l’humanité!
Au Ghana, les pauvres mangent du chien. Ici, c’est les chiens qui mangent du pauvre. Et ils prennent leur air surpris quand on en met un dans une valise de char.
– Ensemble, merci au chef, nos applaudissements, nous lui disons merci. Ladies and gentlemen, together let’s thank magnificently. Bravo! Et maintenant, as president of the Beaver Club, may I say to you the following : never any club has been so honoured and so magnificently rewarded on its two-hundredth anniversary to have such a magnificent membership as you are. A vous tous, nos membres, à nous tous, applaudissons-nous. We are magnificent people and I raise my hat to all of us. Bravo. You are as beautiful as I think I am. Thank you very much. Good evening. Bravo. Good night. Tout le monde, les serviettes, on fête, on témoigne notre appréciation. Everyone, yes, that’s right! Bravo.
Applaudissons-nous. We are magnificent people. Quelle bouffonnerie!
– Bravo. God bless you.
« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
La Boétie
Bien que «le temps des bouffons» mérite d’être regardé, je pense qu’il faut le faire sous un angle critique. Le problème principal étant que Falardeau tente d’y démontrer l’équation bourgeoisie = anglos. Si ce fût vrai un temps, c’est faux de nos jours, suite à la Révolution tranquille, à l’avènement au pouvoir de René Lévesques et la montée du Québec Inc. La bourgeoisie est certes composé d’anglos avec une mentalité colonialiste, mais aussi de francos qui méprisent leurs concitoyens.
Pourtant, il dit ceci:
« Deux cents ans plus tard, leurs descendants, devenus tout à fait respectables, font revivre cette fête par excellence de l’exploitation coloniale. Le gros Maurice, ministre des Forêts, devenu boss d’une multinationale du papier. Jeanne Sauvé, sa femme, administrateure de Bombardier, d’Industrial Insurance, et gouverneuse générale. Marc Lalonde, ancien ministre des Finances, maintenant au conseil d’administration de la City Bank of Canada. Francis Fox, ministre des Communications, engagé; par Astral Communications. Toute la gang des Canadiens français de service est là, costumé en rois nègres biculturels. Des anciens politiciens devenus hommes d’affaires. Des anciens hommes d’affaires devenus politiciens. Des futurs politiciens encore hommes d’affaires.«
Je pense que Bakouchaïev a un peu raison mais que nous sommes désormais rendu au stade où les grands riches de la planète sont les chinois et bientôt les indiens qui étaient avant les colonisés qui deviennent colonisateurs.
Et la roue du temps tourne ainsi. Les premiers seront les derniers et vice-versa, ainsi va la vie.
Je ne dis pas le contraire. Mais il n’y a rien de choquant d’un point de vue historique.
Le temps des boufons est un excellent divertissement qu’on soit d’accord ou non avec le propos.
Cependant, il faut parfois transcender la partisanerie pour être capable de le reconnaître.
Bien sûr, un fédéraleux aura de la misère à apprécier et je le comprends très bien.
Le temps des bouffons c’est de la propagande haineuse!
Qu’anarcho-terroriste aime ça ne me surprend guère…
En principe, ça ne devrait choquer aucun anarchiste!
Qu’est-ce qui choque un anarchiste au juste?
Beaucoup de choses mais pas ça, en principe!
@Martin,
Voyons donc, même si c’était de la propagande haineuse, quelqu’un avec deux cents de jujote est capable de lire entre les lignes et faire la juste part des choses sans partir aller s’acheter des explosifs pour aller faire un tour dans Westmount…
La censure est toujours plus dangereuse que la libre expression, vous devriez le savoir.
Très bien dit Tym.
J’appuie!
[…] tout n’est pas là, tout est ici. ( Le temps des […]
Merci pour la plogue!
[…] tout n’est pas là, tout est ici. ( Le temps des […]
« Bien que «le temps des bouffons» mérite d’être regardé, je pense qu’il faut le faire sous un angle critique. »
Ca va pas. Je ne connais pas le Fallardeau quebecquois (ça s’écris comme ça). Je n’ai aucun a priori quand j’ai vu ce film. Regardez le avec des yeux neufs. C’est … UNE GRANDE CLAQUE … c’est magnifique. (J’ai depuis pris la peine d’allez voir les débats de chez vous, mais c’est une autre histoire)
Le temps des boufons est un excellent divertissement
Je l’avez manqué celle-là.
Mais bordel de merdre, c’est quoi votre problème.
REGARDEZ LE ENCORE. C’EST BEAU-JUSTE-A VOMIR-A RIRE
Merci beaucoup! 🙂
Il faut le regarder sous des yeux neufs, mais en tenant tout de même compte du contexte historique.
Mais quel contexte historique : Canada 1985 Ghana 1957 Colonie 1760 : le temps des profiteurs durent depuis toujours. Non ce film est beau (point). Qu’est ce que tu raisonnes, toi quand même?
Alors là, vous avez saisi la majeure partie du contexte historique. J’estime tout de même qu’il y a eu certains progrès (insuffisants) des francophones au Québec depuis. Voilà qui est une précision importante, à mon avis.
C’est certain que Falardeau a mis le paquet y était comme ça…son oeil de cinéaste voyait des choses que le commun des mortels ne voit pas..y a un fond qui fait réfléchir.
Le peuple normal regarde ça et ne peut faire autrement que se poser des questions sur cette classe possédante, je ne peux me voir là, tout est mis sur les apparences, le flattage…le m’as-tu vu…on est loin du Frère André…chose certaine y a pas un bouffon qui va attirer 1 million de personnes à ses funérailles, pourquoi…peut être parce que c’est vraiment un bouffon….
Claude Lajoie
Bienvenue ici! 🙂
Je n’en ai rien à foutre du Frère André mais le commentaire est pertinent. En effet, je ne crois pas qu’il était un sale bourgeois comme ces bouffons-là! Sauf que je n’ai pas une grande sympathie avec la « cause » des zélateurs du Saint-Frère André. C’est du prosélytisme catho-fasciste et je hais ça!